Cet entretien est un apport à cet article.


Peux-tu m’expliquer quelles sont les différentes activités de ce lieu, Les Fosses Noires ?

On a pas mal d’activités ici. D’abord, l’activité boulange, qui tourne avec deux fournils indépendants. Un premier, qui est là depuis quelques années, dans lequel travaillent plusieurs personnes qui se relaient pour proposer trois ventes de pain par semaine – deux sur place et une au non-marché. Les ventes sur place sont ouvertes à tous les occupants de la ZAD, mais aussi aux habitants des bourgs environnants, ce qui permet aux deux populations de se croiser, d’échanger. Ça donne un prétexte aux gens de l’extérieur pour venir dans la ZAD, ce qui n’est pas toujours évident car ils n’osent pas forcément s’y aventurer. Et un deuxième fournil, qui est le mien et qui sert pour une activité déclarée de paysan-boulanger, pour le marché d’un village du coin.

A côté de ça, je fais du maraîchage, les terres ne sont pas toutes ici mais réparties sur la ZAD.

Une micro-brasserie a été installée il y a un an et demi par L. et fait régulièrement de la bière. C’est pour ça qu’on est en train de monter une houblonnière aujourd’hui, pour alimenter la brasserie. Celle-ci sert également d’outil pour divers groupes, dont le groupe anti-répression de Nantes et alentours qui vient faire des brassées de temps en temps pour pouvoir vendre et alimenter les caisses de soutien.

On a également une petite infirmerie tenue par S., qui est infirmière de formation. Pendant les expulsions, on avait souvent des soins… je ne dirais pas de guerre, mais de combat. Maintenant c’est plus de la « bobologie » mais il y a toujours de quoi soigner.

On a aussi un atelier ouvert aux bricoleurs, avec beaucoup d’outillage – bois et métal surtout.

Nous sommes tous là depuis quelques années, sur ce lieu, et étant donné qu’on connaît un peu le territoire, qu’on est assez impliqués, c’est devenu un lieu « ressources », où l’on vient discuter, poser des questions, etc. Il y a aussi l’eau et l’électricité, Internet. C’est donc une espèce de lieu central, je ne dirais pas « centre névralgique » mais il y a un peu de ça. Il y a aussi pas mal de cabanes autour des Fosses Noires, justement parce que c’est assez central. On fait beaucoup d’accueil, ça nous prend beaucoup de temps. C’est en fait l’activité principale du lieu, l’accueil des gens de passage, pour une ou deux semaines, parfois plus longtemps. Egalement l’accueil des journalistes ou des gens un peu comme toi, qui ont des questions à poser. Etant donné que nous sommes tous ici actifs dans le mouvement de lutte contre l’aéroport, nous sommes un peu un lien entre le monde extérieur et la ZAD. Il y a d’autres lieux qui vivent un peu tournés sur eux-mêmes, des endroits un peu plus cachés où les gens vivent entre guillemets repliés, pour être tranquilles. Je caricature un peu mais… En tout cas ce n’est pas comme ça ici, on a à la fois une démarche d’accueil et de communication. On a par exemple des gens du groupe presse qui habitent ici. C’est une des portes ouvertes de la ZAD disons. Il y en a quelques autres… mais pas tant que ça.

Depuis combien de temps ce lieu existe-t-il sous cette forme ?

Les premiers occupants sont arrivés ici juste avant l’opération César, en septembre/octobre 2012, quand on a su que les flics allaient arriver. Le boulanger de l’époque a déplacé son fournil d’une cabane à ici, puisque c’était sécurisé, dans le sens où ce lieu n’était pas encore expulsable. Il s’est en fait arrangé avec les locataires de l’époque, et a produit du pain pendant toute l’opération César.

Pendant les expulsions, beaucoup de gens se sont donc retrouvés ici, on a dû organiser un dortoir et une cuisine de secours. C’est vite devenu un lieu d’accueil, il y avait ponctuellement de cent à cent cinquante personnes, à nourrir et loger. On organisait des réunions, des discussions, etc. Les locataires étaient encore sur place, et nous aidaient à tenir le point d’accueil quelques heures par jour.

Au printemps 2013, quand on a senti que l’opération César était terminée, on a fermé le point d’accueil parce que c’était un peu trop le bazar. On a donc demandé aux gens de quitter les lieux, ce qui a pris quelques mois. Le lieu a ensuite pris une configuration différente, nous sommes six à être restés sur place. Quelques mois plus tard, les locataires « historiques » qui nous avaient accueillis ont décidé de partir et de nous transmettre leurs droits en faisant une sorte de succession morale. Ils étaient locataires ici depuis trente ans, donc on peut dire que c’était vraiment chez eux. C’est vraiment à ce moment-là que le lieu s’est mis en place tel qu’il est aujourd’hui, dans l’esprit.

Dans quelle mesure ces activités font-elles partie de la lutte à proprement parler ?

C’est une bonne question, il n’est pas forcément évident d’y répondre.

Je dirais que le point le plus important, notamment grâce au pain, c’est que ça fait venir des gens, que ça provoque des rencontres. Ce matin sur le marché, des gens me demandent d’où je suis. Je réponds « De Notre-Dame » et forcément ça lance une discussion. C’était des gens qui habitaient dans le bourg de NDDL mais qui n’étaient jamais venus dans la ZAD, parce qu’ils ne savaient pas sur quoi ils allaient tomber, qu’ils avaient un peu peur. Je les ai invités à venir et ils vont le faire ! Ça crée des liens avec le territoire qu’on veut défendre, ça montre que l’on n’est pas qu’une poignée d’occupants qui venons de n’importe où pour faire trois cabanes… Ça crée un ancrage local qui est très important !

Autre exemple : un gars qui tient la grosse brasserie du coin est là aujourd’hui pour le montage de la houblonnière, un paysan aussi… Un petit projet comme la houblonnière fait venir du monde, des comités d’autres villes, etc.

Tout ça, ces activités, ça crée une émulation collective, qui fait qu’on a envie encore plus de défendre le lieu. Ça montre qu’on peut faire autre chose que du béton, ça crée du lien social. Dernier exemple au Sabot, le premier squat où on a lancé une activité d’agriculture il y a cinq ans. Jusqu’alors il y avait juste des maisons squattées, des cabanes et quelques jardins-potagers. J’avais alors le projet avec quelques copains de cultiver une parcelle appartenant à Vinci sur la ZAD, et de vendre les légumes au marché. On l’a fait collectivement, en partant d’un bourg voisin. On a organisé une manif, départ du bourg – à mille personnes, la plus grosse manif à l’époque – fourche en main, pour défricher la parcelle qu’on allait cultiver. Tu vois, ce n’était pas grand-chose en soi, mais symboliquement c’est un lieu qui a gardé une certaine force, même encore aujourd’hui. Pendant les expulsions, c’était une place plus ardemment défendue, du fait de son histoire. Les activités créent une forte solidarité autour des lieux qui les accueillent. C’est un aspect important de la lutte. Pas forcément palpable, mais essentiel.

Certains projets sur la ZAD permettent également d’alimenter d’autres luttes similaires.

En cas d’expulsion, que deviendront ces activités ?

Certaines sont fortement liées à la lutte, donc l’aspect le plus intéressant est ce qu’elles lui apportent. Celles-ci risquent de disparaître si la lutte change de forme, ou peut-être de se recomposer ailleurs… Ça dépend vraiment du contexte, on a du mal à imaginer. Le pain continuera probablement à se faire dans un lieu à l’extérieur de la ZAD, parce qu’il y aura toujours besoin de pain, quelle que soit la suite. Avec quelques-uns d’ici, on loue déjà une ferme à l’extérieur, pour être prêts à continuer en cas d’expulsion. Mais ça aura une forme différente, on ne refera pas un lieu d’accueil là-bas. Sauf si ça a du sens, que tout le monde a été expulsé et que la lutte continue. Presque tout ce qui se fait ici a été pensé dans et pour la lutte.

D’autres activités sont plus personnelles. La brasserie de L. par exemple : lui continuera son activité ailleurs après, indépendamment de la lutte.

Il y a de multiples raisons d’être contre l’aéroport. Y en a-t-il une qui vous rassemble ici ?

Globalement, sur la ZAD, il y a un point commun, c’est la lutte concrète contre un aménagement capitaliste du territoire. Ça aurait pu être autre chose qu’un aéroport. On parle du centre d’enfouissement de déchets nucléaires à Bure, c’est un peu pareil, les gens qui luttent là-bas pourraient être ici, et inversement. Le but est de lutter contre le système qui met en place ce genre de projets.

Mais plutôt orienté sur l’aspect anticapitaliste ?

Oui, mais en lien étroit avec le côté décroissant, préservation des terres agricoles, écologie, etc. Ça, c’est pour ceux qui sont clairement axés sur la lutte contre l’aéroport.

Mais il y a aussi des personnes qui viennent pour l’aspect « ZAD ». C’est-à-dire plutôt sur l’aspect antiautoritaire, anarchiste, le retour à la Nature, etc. Plus pour le côté alternatif. Je les appellerais plus des « primitistes », qui veulent vivre tranquilles dans les bois, dans une espèce de retour à la Nature sauvage. Quelque chose qu’on peut considérer comme une espèce de mythe, mais il y a des gens qui partagent ce mythe-là et qui essaient de le vivre ici. Et qui ne sont pas tant dans la lutte contre l’aéroport que dans la recherche et l’application d’un idéal de vie.

Mais pourquoi viennent-ils ici alors ?

Parce qu’on a créé une zone qui est un peu « hors la république », dans laquelle on peut faire presque tout ce qu’on veut. Ce sont des gens qui recherchent ça, une zone libre. Et à part ici, il n’y a plus vraiment d’espaces libres nulle part, tout est verrouillé partout, en ville comme à la campagne. C’est un lieu où on peut essayer d’exprimer ses aspirations.

Il y a pas mal de personnes, jeunes ou vieilles, pas forcément impliquées dans des luttes sociales, mais qui remettent en cause le système et qui viennent ici pour en sortir, pour essayer des choses. Autre chose. Dans plein de domaines, la culture, le travail, etc.

Ces aspects ne sont d’ailleurs pas toujours facilement conciliables avec la lutte contre l’aéroport à proprement parler. On a des gens qui sont contre toute forme d’agriculture parce qu’ils trouvent que ça détruit les sols, par exemple. Et c’est difficilement conciliable avec des gens comme Marcel, qui sont paysans-agriculteurs et qui luttent aussi, sans avoir forcément les mêmes pratiques de vie, les mêmes opinions philosophiques ou politiques.

Le pape François a publié récemment une encyclique sur l’écologie. Comment cela a-t-il été perçu ici ?

Tu sais, les gens qui sont ici sont plutôt réticents aux croyances religieuses, et encore plus à l’Eglise. On en a entendu un peu parler mais ça n’a pas particulièrement fait débat, ni créé un enthousiasme incroyable.

J’avais vu les photos d’un rassemblement à NDDL, dans lequel on voyait un écriteau disant « Nunquam aeroportum ! Le Pape est avec nous ! ».

C’était plutôt une blague. On a eu une fois un tract qui circulait sur la ZAD avec des extraits de l’encyclique, mais disons que c’était déconnecté de l’aspect religieux.

Après, le Pape est une figure importante, et si ça permet à des gens d’Eglise ou des chrétiens de se rallier à la lutte, tant mieux ! Moi, je trouve ça intéressant. C’est bien qu’il l’ait fait. D’ailleurs, à cause de ça… ou grâce à ça plutôt, un groupe du diocèse de Nantes réfléchissant à l’écologie et poussant un peu l’évêché à se positionner là-dessus est venu sur la ZAD il y a peu. Par ailleurs, ce sont des personnes qui s’investissent un peu dans la lutte, mais c’était intéressant qu’ils prennent le prétexte de l’encyclique pour venir.

On entend souvent parler de convergence des luttes. Jusqu’où cette convergence peut-elle aller ?

C’est compliqué, tu peux avoir beaucoup de réponses différentes en fonction de la personne qui te répond…

Beaucoup de luttes ont un fond commun. Contre l’aéroport, contre une ligne LGV ou contre le site d’enfouissement à Bure… Le même mal est à la racine de ces projets, donc on se soutient fortement entre nous pour lutter contre ce mal. Et puis la lutte que nous menons ici à NDDL donne une force incroyable à ces autres luttes ! Ça les galvanise, ils se disent que c’est possible, qu’il y a des victoires possibles.

Et si des groupes dits d’extrême-droite, ou cathos ou autres se positionnent contre l’aéroport, seront-ils les bienvenus ici ?

Les cathos, c’est une chose. Ils sont les bienvenus en soi, mais pas forcément en tant que cathos. Par exemple, quand le groupe du diocèse de Nantes vient, c’est très bien, mais ça reste un peu discret. Si l’évêché venait faire sa rencontre annuelle ici, en grande pompe, je pense que ça ne passerait pas.

De la même manière, si le FN veut se rallier à la lutte, il sera mis dehors. On a eu le cas à un moment avec un groupe de La Manif pour tous qui faisait une marche en remontant du Sud-Ouest et qui voulait passer par la ZAD. Etant donné leurs liens avec les milieux réactionnaires et traditionnalistes, c’est sûr que ça ne pouvait pas passer…

Ça ne passe pas en tant que mouvement, mais si des membres de ce mouvement veulent venir ?

Il ne faudrait pas qu’ils s’affichent comme tel, je pense. Moi je ne suis pas forcément contre, mais je serais un peu mal à l’aise… Si quelqu’un vient ici et me dit qu’il est catho, je m’en fous, ça le regarde. Mais s’il vient ici pour porter des idées… plus de l’Eglise traditionnaliste par exemple, mêlées de réactions contre l’avortement, contre les immigrés… ben ça, ça ne passerait pas du tout.

Je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire ?

Si, je crois. Mais du coup je pousse un peu : le groupe dont tu parlais tout à l’heure s’appelle Les Veilleurs. Et pour les connaître un peu, je crois que leur objectif en venant ici n’était pas de transmettre d’abord leurs idées, mais plus de faire le lien avec vous. Parce qu’ils trouvent que votre combat rejoint en partie le leur, sur un certain nombre de points.

Oui mais le problème, c’est que je pense qu’il ne peut pas y avoir de convergence parce qu’on ne défend pas les mêmes choses, qu’on n’a pas les mêmes valeurs. Enfin… il y a peut-être certaines choses qui peuvent se croiser, mais si on creuse je pense quand même qu’il y a des sujets trop clivants.

On pourrait en discuter longtemps personnellement je pense. Moi je ne connais pas assez les gens qui composent ces mouvements, j’imagine qu’il y a plein de styles différents. Et sûrement pourrait-on s’accorder sur certains points, mais ça resterait compliqué. Sur la question du droit des femmes par exemple, ou…

Mais donc les divergences sur un certain nombre de points peuvent empêcher une convergence sur un ou plusieurs points précis ?

Oui, parce que derrière, il est question du choix de société. Je pense que ces gens-là et nous qui luttons ici ne voulons pas de la même société. Je ne dis pas qu’il faut se battre qu’au côté de personnes avec qui nous serions à 100% d’accord, c’est impossible. Mais je pense qu’il y a parfois de trop grands écarts pour s’entendre. Ce serait intéressant d’en discuter plus !

De la même manière, il y a des groupes identitaires d’extrême-droite avec qui on pourrait se retrouver sur un certain nombre de points : l’anticapitalisme, la sortie de l’économie marchande, le retour à des valeurs de fraternité ou de solidarité. Mais sur le nationalisme, le droit des femmes, certaines valeurs morales, on ne peut pas s’entendre.

On a parlé tout à l’heure de votre éventuelle expulsion. Mais à l’inverse, si vous gagnez la lutte, que se passera-t-il ?

Ça dépend comment on gagne. Et ça dépend ce que l’on gagne également. Si on gagne sur l’abandon de l’aéroport c’est une chose, mais ça n’empêche pas qu’on pourrait se faire expulser malgré tout. Ou gagner les deux : l’aéroport et la ZAD. C’est très dur de se projeter, tout est trop incertain.

Je pense qu’on imagine pour la plupart de rester et de construire notre vie ici. On aimerait garder la ZAD telle qu’on l’imagine, pas comme elle est aujourd’hui mais comme on aimerait qu’elle soit en-dehors d’un contexte de lutte. Un peu comme une commune, une commune libre. On peut imaginer monter des projets ici, pour faire une sorte d’expérimentation de notre idéal de société.

Comment se passe vos relations avec les paysans historiques ? Les habitants du secteur ?

A mon échelle, ça se passe bien je crois. Je ne sais pas ce que t’a dit Marcel mais je crois que ça va ! Je suis arrivé ici pour le projet du Sabot dont le but était de faire du lien entre les paysans et les squatteurs issus des milieux libertaires, pour caricaturer. Nous avions un projet rural, mais on était aussi squatteurs. On voulait que les relations soient les meilleures possibles pour enrichir la lutte, les liens sociaux, etc. J’ai eu des boulots dans les fermes autour, je connais pas mal de monde. J’ai plus d’amis en-dehors de la ZAD que dedans. Et c’est globalement vrai aussi avec les personnes qui m’entourent ici, on a des rapports de franche camaraderie avec les historiques.

Mais je suis un peu un extraterrestre, la plupart des occupants restent très axés sur la ZAD ; leurs activités, leurs réseaux sont ici. Il y en a qui ne sortent jamais de la ZAD ! On ne peut pas dire qu’ils aient de bonnes relations avec les gens de l’extérieur ; au mieux ce sont des relations cordiales, au pire c’est du mépris. Certains sont plus radicaux et se sentent supérieurs, parce qu’ils ont déjà remis en cause des choses que d’autres n’ont pas encore remises en cause. Ce à quoi s’ajoute tous les aprioris qu’ont certaines personnes de l’extérieur sur les ZADistes.

Donc il y a de tout, c’est encore difficile de répondre, ça dépend des endroits et des gens. Il y a plein de cons sur la ZAD, comme il y en a plein à l’extérieur.

Autre chose sur lequel j’insiste, c’est qu’il est absurde de parler des ZADistes en général. Il y a énormément de profils différents qui cohabitent. C’est pour ça qu’il est difficile pour moi de répondre à certaines de tes questions, car il y a une multitude de réponses possibles, selon qui te répondrait.

Ces relations seraient-elles possibles en-dehors d’un contexte de lutte ?

Ça dépend complètement des gens. Pour ceux avec qui je travaille et vis, je crois que oui. Au-delà de la lutte, des amitiés se sont créées et celles-ci perdureront après. Je pense même que certaines pourront s’enrichir encore, justement parce que les tracas liés à la lutte ou d’éventuels clivages politiques auront disparu. Certains conflits n’existent que par rapport à la lutte, dans la façon d’appréhender les modes de vie ou les modes de résistance.

A l’inverse, il est évident que certaines relations ne sont possibles que parce que les personnes sont liées par un enjeu commun, suffisamment important pour mettre de côté d’éventuels clivages ou désaccords.

Par rapport aux inévitables conflits qu’il peut exister dans chaque entreprise humaine, comment les désaccords sont-ils gérés ?

Il n’y a pas de règles établies là-dessus, ça dépend du conflit, des enjeux, de la gravité : c’est du cas par cas. Pour les conflits entre les occupants, un certain nombre sont évacués rapidement parce qu’ils ne sont pas importants, ou sont liés à des problèmes d’alcool ou autres. Pour des conflits plus graves, où beaucoup de personnes se sentent concernées parce qu’il s’agit de choses qu’on n’accepte pas sur la ZAD, il y a des réunions où tout le monde a sa place pour essayer de trouver une solution : faut-il réprimer tel ou tel comportement, faut-il exclure des personnes impliquées.

On a eu des conflits sur la vision de l’agriculture, entre des occupants qui se trouvaient « purs » et qui refusaient les traitements – ils ont raison – et des paysans historiques. Les premiers n’acceptaient pas de laisser les paysans traiter leurs parcelles. On est un certain nombre de la ZAD à s’être retrouvés obligés de garder des parcelles pour que les paysans puissent traiter, alors que nous sommes nous-même contre ces traitements. Mais ces gars-là sont avant tout des camarades de lutte, qui n’ont pas forcément les mêmes façons de voir que nous ou qui n’ont pas les moyens de changer leurs habitudes vu le contexte actuel. On a le devoir de les laisser travailler aussi, et de les défendre. C’est ensemble que nous pouvons gagner.

Il y a déjà eu des exclusions ?

C’est vraiment exceptionnel. Tellement que c’en est anecdotique. C’est arrivé en 2013, parce qu’on a eu un paquet de gens arrivés à cause de la popularité de la lutte, souvent des gens qui venaient de la rue, avec les problèmes de violence ou d’addiction. Les personnes les plus chiantes ont été obligées de partir. Fortement invitées à partir, disons.